J’ai connu Christiane à la sortie des chaînes d’inscriptions de l’Université. Nous étions d’abord des amis, avant de devenir un couple quelques années plus tard.
A cette époque, on buvait beaucoup dans les milieux étudiants. Je buvais avec Christiane. Rien d’anormal.
Nous partagions des histoires familiales difficiles. L’alcool et des parents dysfonctionnels de mon côté. L’alcool et une enfance sacrifiée pour une mère malade du côté de Christiane. Nos blessures nous avaient ainsi rapprochées sans que nous en ayons réellement conscience à cette époque.
8 ans après nous nous sommes installés ensemble. Pour débuter une vie en apparence normale. Je ne sais plus comment la situation a évolué. Je me suis rendu compte que progressivement Christiane buvait de plus en plus. J’ai essayé de la convaincre de se soigner mais je ne savais pas lui parler. Et encore moins l’écouter. J’étais en colère. Je lui criais dessus alors qu’elle était en souffrance et qu’elle ne pouvait ni ne savait probablement pas comment demander de l’aide.
Et puis ce que je vivais avec Christiane m’avait ramené à mes traumatismes d’adolescence quand je vivais avec une mère alcoolique. Comme si tout ce que j’avais voulu oublier, enfouir profondément resurgissait brutalement. J’étais incapable de gérer en adulte la situation avec Christiane parce que je me retrouvais comme un adolescent démuni face à une situation sur laquelle je n’avais pas la capacité de mettre les mots.
Finalement, c’est moi qui me suis fait aider par un centre d’addictologie qui accompagnait également les familles.
La situation s’est détériorée de plus en plus. Pendant certaines périodes, elles était saoule du matin au soir. Je me suis replié sur moi et sur mes propres problèmes. Je me souviens que pendant certains repas pris avec mes enfants, elle répétait les mêmes phrases, les mêmes conseils inutiles à notre fils ainé qui se mettait en colère, de frustration. Je sais que nos enfants ont beaucoup souffert de cette situation et je le regrette profondément.
Christiane perdait toute pudeur ce qui était très dur pour mes deux fils et moi. Cette situation me mettait en rage. En colère folle contre Christiane. Je crois que j’étais tellement en colère que j’étais incapable de voir combien elle souffrait.
Nous avons convenu que la situation ne pouvait plus perdurer. Nous avons décidé de nous séparer. Christiane m’a confié la garde de notre fils cadet qui était encore mineur. Nous sommes restés proches. Et c’est à cette période qu’elle a décidé de se faire soigner. Elle a demandé à être suivi par le service qui m’avait également accompagné. Elle a entamé une cure dans un centre médical avec sevrage alcoolique. C’est très violent. Nous sommes restés en contact pendant la cure.
A sa sortie, trois mois plus tard, elle est restée sobre pendant 5 mois environ. Elle a replongé au réveillon du Nouvel An. L’alcool est présent partout dans notre société et c’est une substance extrêmement addictive.
Quelque mois après, Christiane est décédée accidentellement. Cela a été tellement brutal que 5 ans plus tard, j’ai encore des flashs de cette journée. Des souvenirs qui surviennent brutalement dans n’importe quelle circonstance.
Nous étions bien entourés. J’ai beaucoup parlé de ce que j’ai vécu à mes amis, mes proches. Cela reste présent comme un poids dans ma vie. J’ai mis 4 ans à me décider de pousser la porte d’un groupe Al-Anon. Les réunions, les échanges avec les membres de la fraternité me permettent d’exprimer, de « sortir » ce que j’ai vécu. De ne pas garder en moi cette tristesse, cette colère, les regrets de tout ce que nous avons vécu… et de tout ce que je n’ai pas pu faire.
Depuis un an, je participe presque chaque semaine aux réunions de mon groupe. C’est une fraternité incroyable. Je me sens tellement reconnaissant. Tous les mercredis, j’ai l’estomac noué en écoutant les témoignages de mes amis d’Al-Anon. Je partage souvent. Parfois au bord des larmes mais j’ai le sentiment de me libérer de poids, de souvenirs, d’émotions réprimées qui m’étouffaient.
J’avance lentement dans le travail des 12 étapes. “Accueillir mon impuissance face à l’alcool” et accepter de m’en remettre à Dieu. Je ne pensais pas que c’était aussi difficile. Heureusement, j’ai le soutien de mon groupe. Pendant les réunions et en-dehors. Je sais que le chemin sera long mais je me sens dans la voie du rétablissement.
Bonnes 24 heures.
Olivier